Par Rachel Ouellet
Une impression de décalage avec les autres est régulièrement mentionnée par les adultes HP, mais est aussi ressentie par l’enfant. La personne a alors la sensation de ne pas trouver sa place. Elle doit s’ajuster presque en permanence pour faire comme les autres, sentant qu’une partie importante d’elle-même ne sera pas comprise.
La personne HP ressent souvent un grand sentiment de solitude, malgré qu’elle puisse être bien entourée dans la vie. Au travail, sa grande énergie, sa créativité et son penchant à en faire toujours plus sont souvent exploités, et ce, bien qu’elle ne soit pas nécessairement rémunérée davantage ou n’obtienne pas un poste en conséquence. Son intelligence pourra la mettre sur une forme de piédestal, surtout si elle se démarque beaucoup. Cela peut parfois entraîner un sentiment de jalousie et la conviction, encore une fois, d’être à part des autres, pouvant difficilement partager son monde intérieur.
La personne peut alors s’isoler, trouvant peu de plaisir à être avec l’autre. La personne sociabilise mais ne semble pas avoir de réelles amitiés ou s’intégrer pleinement. Les autres peuvent soit l’admirer pour ses capacités impressionnantes, soit l’ignorer en raison de sa différence.
L’hyperconscience HP entraîne une autre forme de solitude. Elle apporte une compréhension globale et parfois malheureusement une vision plus sombre de la vie chez la personne surdouée. Cela amène inévitablement l’individu HP à vivre des crises existentielles ou à avoir le sentiment de ne pas avoir de but ni d’appartenir à ce monde. Alors comment se développer positivement socialement lorsque nous sommes une personne ayant un haut potentiel intellectuel? En développant notre intelligence sociale.
Il y a beaucoup plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se comprendre que dans deux intelligences qui essaient d’avoir raison. Thomas D’Ansembourg
Nous parlons régulièrement d’intelligence émotionnelle lorsque le haut potentiel intellectuel est discuté, ou la « surefficience cognitive » si nous étudions cette particularité davantage au niveau des neurosciences. L’intelligence sociale est un sujet moins abordé. Cela dit, sans intelligence sociale, l’intelligence émotive ne peut être présente et vice versa. L’intelligence émotionnelle ne peut être dissociée de l’intelligence sociale. Elles sont intimement liées, voire fusionnées et une ne peut se développer sans la présence de l’autre. Alors voyageons ensemble dans le monde fabuleux, mais parfois nébuleux, de l’intelligence sociale.
En neuropsychologie, le concept de théorie de l’esprit (Theory of Mind en anglais [ToM]) désigne la capacité mentale de décoder ses états mentaux, ceux d’autrui et de les comprendre. L’expression « théorie de l’esprit » désigne une aptitude cognitive, donc directement liée à l’intelligence et au cerveau lui-même, qui permet d’attribuer une ou plusieurs représentations mentales, par définition non observables, aux autres personnes. Pour ce faire, le cerveau utilise entre autres la déduction et l’inférence : les états affectifs et les capacités cognitives des autres personnes sont déduits sur la base de leurs expressions émotionnelles, de leurs attitudes, de leurs connaissances et de leur vision que nous supposons qu’elles détiennent de la réalité. Elle permet de comprendre les états mentaux des autres : ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils veulent, ce qu’ils aiment et permet de nous adapter à eux. Elle joue un rôle majeur dans les interactions sociales humaines. Alors étant une fonction cognitive, il est tout-à-fait possible de la développer davantage.
L’intelligence sociale
L’intelligence sociale est la capacité à bien s’entendre avec les autres et à les convaincre de cheminer avec nous. Elle est peut-être la force cognitive la plus importante qui soit. Elle est notre capacité à nous entendre avec les autres, à les comprendre, à nous lier à elles, à influencer. Une personne intelligente socialement est une personne qui saura bien s’entendre et comprendre les gens autour d’elle. Elle sera capable de rebondir dans tout type de situation en société, s’adaptera à différents milieux et aux types de personnalités qu’elle côtoie. Elle ne demandera pas aux autres de répondre à ses besoins pour être heureuse, mais saura plutôt apporter des changements sociaux et créer des liens qui l’amèneront à cheminer positivement parmi les autres. Elle sera estimée humainement et appréciera ses contacts avec l’autre. Prenant et donnant autant en retour pour des échanges positifs, créatifs, constructifs et surtout, bienveillants.
Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être. C’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. Karl Marx
Votre cerveau social
L’être humain est neurologiquement programmé pour se connecter avec les autres. Le psychologue Daniel Goleman, qui a écrit entre autres « Intelligence sociale : la nouvelle science des relations humaines« , soutient que nous avons des structures spécifiques dans notre cerveau construites pour favoriser nos relations avec les autres. Plusieurs comme le cortex préfrontal par exemple, sont mieux développés chez la personne HP. Donc, nous avons neurologiquement tout pour très bien développer cette forme d’intelligence.
« Le cerveau émotionnel coexiste avec le cerveau rationnel (cortex préfrontal). Il est à l’origine de nos pensées, de nos actions, de nos désirs et de nos motivations. Situées au centre du cerveau, les petites structures impliquées sont principalement l’hypothalamus, le noyau accumbens et l’amygdale (centre des émotions comme la peur ou le stress). Le cerveau rationnel adapte en permanence nos comportements. Les régions qui sont sollicitées se situent dans le cortex préfrontal. Ce dernier intègre les informations sensorielles et émotionnelles, organise les actions dans le temps, planifie le comportement humain en fonction de son environnement. »
*www. institutducerveau-icm.org
Les neurones miroirs nous aident à prédire le comportement des personnes qui nous entourent en imitant inconsciemment leurs mouvements. Cela nous aide à ressentir ce qu’ils ressentent, à bouger comme ils bougent, à se rallier au groupe et prendre part à des activités communes. Les neurones miroirs jouent un rôle important dans l’empathie et l’apprentissage. Notre cerveau copie les gens qui nous entourent pour que nous ressentions ce qu’ils ressentent. Cela nous aide à les comprendre, savoir d’où ils viennent et même à mieux prédire leurs réactions.
L’intelligence sociale est l’intelligence de l’autre
« Lorsque nous nous concentrons sur nous-mêmes, notre monde se contracte alors que nos problèmes et nos préoccupations prennent de l’ampleur. Mais lorsque nous nous concentrons sur les autres, notre monde s’élargit. Nos propres problèmes dérivent vers la périphérie de l’esprit et semblent donc plus petits, et nous augmentons notre capacité de connexion et d’action compatissante. » Goleman
Goleman soutient que nous sommes programmés pour la bienveillance. Nous sommes intrinsèquement bons. Cependant, nous oublions parfois à quel point cela nous fait du bien de l’être. Peut-être est-ce aussi un signe que nous sommes encore trop centrés sur nous-mêmes ?
Les ingrédients de base pour développer nos compétences sociales
Développer nos capacités de communication
Nous pensons souvent qu’il n’y a qu’une seule bonne façon de communiquer. Je dirais qu’il y en a autant que d’êtres humains sur cette Terre. Nous avons tous des personnalités et des histoires de vies différentes, avec des comportements et besoins différents. Si à la base nous nous comprenons très bien et comprenons la personnalité et les besoins des autres, notre intelligence sociale va assurément entrer dans la catégorie des poids lourds! Mais premièrement, il faut commencer par savoir réellement communiquer avec les autres. Savoir écouter, présenter positivement nos opinions, accepter que les autres ne soient pas en accord, s’ouvrir l’esprit, accepter la critique constructive, utiliser les bons mots sans jugement… Bref, tout se dit mais ça dépend toujours de comment c’est dit. Aussi, il est important de comprendre qu’il y a autant de perceptions et de visions de la vie, qu’il y a d’humains sur cette planète. Il est même très vaniteux de croire que notre vision des choses est la seule qui en vaille la peine. Que sur plus de sept milliards, ce soit la nôtre la meilleure. Alors, savez-vous réellement communiquer, ou pour vous la communication n’est que l’action de parler ?
Savoir argumenter
Argumenter est une forme de communication. Les plus grands philosophes de l’histoire passaient leurs journées à argumenter ! Il ne s’agit pas de convaincre à tout prix, mais de présenter son opinion par le raisonnement et les faits, et que chacun et chacune entende le point de vue de l’autre. Ainsi, on peut ouvrir son esprit et finir par avoir une vision plus complète, sage et profitable de la situation. Accepter le point de vue de l’autre, du moins en partie, n’équivaut pas à perdre la discussion, car ce n’est pas une compétition. Au contraire, accepter un point de vue plus solide et logique est un signe d’intelligence.
La connaissance des coutumes et des normes sociales
Une personne socialement intelligente connaît bien les règles qui régissent les attitudes sociales dans son environnement. Cela ne vous oblige pas à accepter tout ce que les normes vous présentent. Le changement est un signe d’équilibre et de développement d’une société. Mais en premier il faut bien comprendre la société dans laquelle nous vivons, de s’y adapter pour ensuite avoir une influence positive dans les changements à apporter. Se plaindre constamment de la société est vide de sens, particulièrement si nous ne faisons rien pour la rendre meilleure.
Développer notre capacité de changer de rôle
Une personne socialement intelligente n’a pas de difficulté à s’adapter à différents caractères, âges, genres et cultures. En développant sa prise de conscience des aspects culturels, cela augmente la capacité de la personne à sociabiliser avec les autres. Tout débute dans une réelle empathie et ouverture d’esprit. Nous ne pouvons pas exiger des autres qu’ils nous acceptent et nous comprennent dans nos différences, si nous ne leur donnons pas en retour le même respect. Lorsque je lis des commentaires de personnes HP qui dénigrent les non HP et s’en plaignent, pire, se dénigrent entre HP, je me demande si ces mêmes personnes ont bien développé leur intelligence sociale. Vous pouvez toujours apprendre à tirer le meilleur des compétences sociales des personnes qui vous entourent.
Savoir gagner le respect des autres
Une personne peut gagner le respect d’autrui en adoptant un ensemble de comportements. Par exemple en étant capable de trouver et de proposer des solutions intéressantes face à des défis. En admettant ses erreurs, en étant transparente et authentique. En ayant un impact constructif et bénéfique dans la vie sociale. Tout cela renforce le sentiment d’appréciation des autres. Une personne socialement intelligente est capable de faire une bonne impression sur les autres sans faire semblant. Elle sait apporter son point de vue et entendre ceux des autres. Et l’empathie est un des ingrédients les plus importants. Sans elle, pouvons-nous réellement mériter le respect des autres ?
Développer notre présence, notre charisme et notre influence constructive
Une personne charismatique a un bel équilibre entre compétence et bienveillance. Pour développer son intelligence sociale, il est important d’avoir conscience de la façon dont nous sommes perçus par les autres. Sommes-nous régulièrement négatifs dans nos propos? Cherchons-nous la bisbille dans des argumentations inutiles ? Ou à l’inverse, sommes-nous agréables d’approche, positifs mais réalistes, souriants et ouverts face à l’autre ? Est-il agréable d’être avec nous ? Car nous pouvons nous plaindre longtemps que les autres soient pénibles : soit nous ne choisissons pas de bonnes relations, soit nous n’avons pas développé de bonnes habiletés sociales, soit c’est nous-mêmes qui rebutons parfois les autres ? Mais bien souvent, c’est une faible estime de soi qui en est la cause. La confiance en soi est aussi au cœur de l’intelligence sociale. Sans estime, les gens vont en retour peu nous estimer. Pouvons-nous alors être déçus ou frustrés, lorsque nous nous accordons nous-mêmes peu de respect et d’importance ?
Finalement, développer notre conscience sociale
« Certains comptent sur leurs actions personnelles pour assurer leur ascension sociale. D’autres utilisent l’action sociale pour assurer leur ascension personnelle. » Deniger
En conclusion, la personne douée peut avoir des difficultés à s’intégrer socialement. C’est un fait. Ce défi est régulièrement observé et mentionné, surtout relié à nos particularités neurologiques, à notre cerveau différent. Mais ayant un cerveau programmé pour être curieux, pour apprendre et découvrir, la personne douée doit prendre elle-même en main son développement social et émotif. Ces formes d’intelligences sont trop souvent mises de côté et dévalorisées en comparaison des autres forces cognitives, comme la logique par exemple. Mais que valent une pile de doctorats ou des connaissances à revendre, si nous n’avons personne avec qui les partager ? Que vaut une belle intelligence, si elle n’est pas bien exploitée et mise à profit ? Que vaut un potentiel supérieur à la moyenne, s’il n’est pas mis au service de l’humanité. Et plus simplement, pour votre propre bonheur personnel, découvrir le plaisir d’être avec les autres ? Comme je dis souvent, la personne HP est assez intelligente pour apprendre à être heureuse. Mais pour cela, elle doit nécessairement se lancer dans le développement de soi et la découverte de l’autre. Et une fois ce long chemin bien entamé, ses perceptions de la vie et de l’autre seront complètement modifiées. Encore une fois, être HP prendra alors tout son sens !
Références
www. institutducerveau-icm.org
www.scienceofpeople.com
Intelligence sociale: Au-delà du QI, au-delà de l’intelligence émotionnelle par Dr Daniel Goleman, 2007
www.ghfdialogue.org
Social Intelligence: The New Science of Human Relationships par Dr Daniel Goleman
Intelligence sociale : la nouvelle science des relations humaines par Dr Daniel Goleman, 2006